Portrait du jour : Simone Douek
Chaque jour avant le LANCEMENT du DINARD PODCAST FESTIVAL nous dévoilons le portrait d’un invité ou un participant, acteur.ice du podcast créatif. Aujourd’hui, Simone Douek.
L’essai de Simone Douek, L’Acte radiophonique, une esthétique du documentaire est paru en juin dernier. Le Dinard Podcast Festival est une belle occasion de mettre en valeur ce travail.
Pourriez-vous présenter votre livre ?
Le propos de ce livre est de saisir le documentaire radiophonique comme le résultat d’un acte esthétique. L’acte radiophonique, c’est un engagement créatif, la volonté de faire sens au-delà de l’information, du didactisme ou de l’événement. C’est à travers le prisme de mon expérience de la radio que je présente cette réflexion. Je me réfère tout au long de ce texte à de nombreux exemples pris dans les productions radiophoniques de plusieurs auteurs, ainsi que dans les miennes ; je les décris en termes de fabrication et d’élaboration, mais aussi d’analyses, car les œuvres radiophoniques, comme les œuvres littéraires ou cinématographiques, s’offrent à l’interprétation. L’étape essentielle de la construction est celle du montage, c’est l’étape d’une véritable écriture. Dans ce livre je tente d’explorer, à travers une palette de genres documentaires, la fascination qu’exerce sur nous le son, et tout ce qui fait qu’on s’immerge dans un univers qui nous délie de nos attaches quotidiennes.
Quelles distinctions proposez-vous entre le documentaire et la fiction sonore puis entre radio et podcast ?
C’est selon moi le rapport au réel qui distingue le documentaire de la fiction sonore. Le documentaire travaille le réel. La fiction peut partir du réel, mais s’en échappe, l’amplifie, en fait une porte ouverte sur d’autres possibles. La fiction radiophonique commence avec un texte écrit, et poursuit son écriture avec la mise en ondes et un langage qui devient celui du son, au service du texte littéraire initial (qu’il soit création ou patrimoine). La fiction est écrite à l’avance, mais le documentaire n’en est pas moins écrit. Le documentaire s’écrit pendant son élaboration. Il s’écrit avec les sons et les voix; il s’écrit ensuite et surtout au montage. Mais à vrai dire j’ai eu plutôt envie de souligner les points communs qui unissent le documentaire sonore et la fiction sonore. Il s’agit pour l’un de mettre en scène le réel, pour l’autre de mettre en scène un texte écrit; fiction et documentaire sonores retrouvent le même langage du son. J’aborde aussi bien la radio que le podcast car toutes les émissions de radio deviennent des podcasts. Entre une création sonore destinée à la radio, et le podcast, les principales différences sont d’abord d’ordre temporel. Le podcast crée pour l’auditeur LE DOCUMENTAIRE : UN ACTE ESTHÉTIQUE ? un éternel présent. Du point de vue de la fabrication, avec un podcast on a la liberté totale de création en termes de durée, d’imaginaire. Le podcasteur n’a pas à se plier aux exigences d’une ligne éditoriale ou d’une grille de programme; à l’évidence, le podcast est doté d’une légèreté intrinsèque. En revanche la démarche de création est la même.
Quelle est la spécificité du sonore par rapport à tous les autres arts ?
J’ai tellement l’habitude de mêler arts visuels et arts sonores… Disons que l’art sonore ouvre peut-être davantage de possibles en ce qu’il ne dessine jamais de façon exhaustive ni explicite. Il y a toujours un hors-champ dans les voix et les sons; ces derniers résonent dans les esprits et chacun peut s’en emparer. Oui, finalement le son et la voix ont une richesse qui déborde de la compréhension première de ce qui est exprimé.
Dans ses grandes lignes, quel est votre parcours, comment êtes-vous arrivée au travail du son?
Dans ma formation initiale se sont tissés les fils de la littérature, du cinéma et de la musique. La musique a sans doute été le premier appel du son. J’ai passé dix années à l’École nationale de musique de Boulogne-Billancourt, j’y ai étudié le piano dans la classe de Jacqueline Landowski, et plus tard, la musique de chambre dans la classe de Jean-Michel Damase. À l’université j’ai étudié la littérature, et j’ai approché le cinéma, notamment dans son aspect « cinéma direct », qui n’est pas sans rapport avec mon goût pour le documentaire sonore. Par ailleurs, je me familiarisais avec la fabrique du cinéma, grâce à l’enseignement de nombreux artistes et techniciens au sein de l’association « Arts et techniques du cinéma » qu’avait créée et animée Henri Alekan. Je dois dire — à propos de son toujours — que je tiens toujours à voir des films dans leur version originale, même si je n’en comprends pas la langue, car un film possède tout un univers sonore qui est irremplaçable au cinéma. À Radio France, je me suis formée sur le tas. J’ai été productrice à France Culture pendant trente-cinq ans, et j’y ai pratiqué toutes les formes radiophoniques, du direct au documentaire. J’ai parcouru la France à bord du car-studio de France Culture (Départementales, La Radio sur la place, Le pays d’ici), animé pendant treize ans une émission en direct concernant Paris et l’Ile-de-France (Les Îles de France), mené des entretiens dans À voix nue. Parallèlement à ces émissions j’ai produit des documentaires, collaborant à un grand nombre de ceux qui existent ou ont existé sur la chaîne, notamment : Une vie, une œuvre, Surpris par la nuit, Tire ta langue, Les chemins de la connaissance, Sur les docks. Parallèlement, j’ai enseigné l’écriture documentaire radiophonique à l’Université de Marne-la-Vallée et à la SAE (Sound Audiovisual Engeneering School). J’ai aussi abordé la question des archives à l’École des Chartes. Plus je pratique le documentaire, et plus je suis sensible au travail du son: j’ai toujours adoré l’imbrication de tous le signes sonores (voix, sons, bruits, musiques).
Organiser un festival en 2021 c’est aussi revendiquer le collectif et le temps du débat. Pour vous, le cœur du débat concernant le son en France, qu’est-ce aujourd’hui ?
Je regrette toujours que les grilles des programmes soient de plus en plus concentrées sur des émissions en direct, que la radio publique se coule dans ce moule de l’événementiel et du sociologique — qui certes ont une place importante pour notre compréhension du monde. Mais les plages se déroulant dans la lenteur, se détachant de l’actualité immédiate, privilégiant justement un art sonore parfois oublié, seraient à nouveau les bienvenues sur les antennes.
Le sonore, est-ce un art accessible aujourd’hui?
La légèreté du matériel d’enregistrement, son coût relativement modéré — on peut créer sans forcément passer par le mythique Nagra —, la possibilité d’acquérir des logiciels de montage et de mixage, ouvrent des portes pour la création sonore. J’ai travaillé pendant des années avec un matériel plus lourd, que je ne pouvais pas totalement maîtriser. Je me mets à nouveau à créer des compositions sonores avec un Zoom et un logiciel de montage. Je me sens plus légère. Et capable de ne dépendre que de moi (ou presque, car il faut toujours un temps d’apprentissage). Je me rappelle les années où il était interdit aux producteurs de radio — les auteurs de leurs enregistrements et de leurs émissions — de toucher aux ciseaux de montage, sous peine de je ne sais quelles sanctions et foudres de certains chargés de réalisation. Tout le monde maintenant travaille en bonne intelligence, et cette époque de « terreur » est passée depuis longtemps !
Au seuil du Dinard Podcast Festival que diriez-vous aux jeunes artistes, en cette année 2021 ?
C’est plutôt une question que je leur poserais. Les jeunes artistes sont passionnés par le son.
Mais peuvent-ils en vivre ? Y a-t-il aujourd’hui une économie du podcast ? Les podcasteurs sont-ils rémunérés en droits d’auteur? Je les inciterais à être vigilants sur ces questions, qui peuvent paraître prosaïques au regard du désir de créer, mais qui sont précisément les conditions matérielles nécessaires à la création.
Propos recueillis par Hélène Courtel le 21 juillet 2021.