MIND THE GAP PLEASE : Carnets d’un jeune européen à Londre en temps de crise(s)
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- 28 janvier 2025
Le podcast est un moment magique sonore lors duquel, lorsqu’il est bien réalisé, vous devenez, comme dans un bon livre, réalisateur des images qu’il génère. Podcast Magazine vous propose une expérience originale. Lire un podcast avant de l’écouter… Roméo Fratti est un auteur de talent qui porte le projet de réaliser Mind the Gap, une mini-série en neuf épisodes d’un jeune Européen à Londres en temps de crise. Nous avons décidé de publier un épisode dans chaque magazine afin de vous mettre l’eau à la bouche avant de pouvoir en écouter les premiers épisodes. Alors, placez votre casque virtuel sur les oreilles, imaginez la narration et laissez-vous porter par ces mots…
Ma coloc est irlandaise. Nous avons le même âge. J’ai remarqué que la seule évocation de ces deux détails suffit la plupart des fois à éveiller un petit sourire entendu sur les visages de mes amis ou des personnes à qui j’en parle, sourire accompagné d’un plissement des yeux espiègle, auquel un mmm… empreint de lubricité fait écho. Des questions multiples fusent alors à notre égard. Le fond porte toujours sur l’éventuelle advenance d’une forme
quelconque de pratique coïtale entre nous. Je vous passe la forme. Plusieurs de mes amis nous souhaitent ou prédisent un amour éternel. Les phrases suivantes ont été reformulées par mes soins, pour des raisons évidentes de respect des règles minimales de bienséance. Attends Roméo. Elle a ton âge, elle est irlandaise ! Et vous habitez ensemble ! Tu ne dois pas rater cette occasion. C’est vrai quoi, ce serait tellement pratique ! En plus, comme ça une chambre se libère, ce qui nous permet de venir te voir ! Ben voyons.
Nous sommes très différents. Tenez, prenez la douche, par exemple : la sienne dure trois minutes, montre en main. Même John Dillinger prenait plus de temps pour braquer une banque. Alors que moi, je dois réserver un large créneau, suffisamment à l’avance pour qu’elle puisse prévoir de ne pas avoir besoin de la salle de bain à ce moment-là. Même François Pignon prend moins de temps pour réfléchir. La rapidité avec laquelle ma coloc lave une assiette (oui, car entre temps, l’allégorie de l’inutilité n’a été ni réparée, ni vendue à un musée d’art contemporain) dépasse le temps de trajet de mes sensations visuelles jusqu’à mon cerveau ; de mon côté, j’astique les couverts comme des pièces d’argenterie. Pour elle, Love actually est un film immoral. Donald Trump, en revanche, est franchement hi-la-rant. Tous les goûts sont dans la nature.
Ma coloc est extrêmement logique : pour elle, le second degré n’est qu’une température ; si bien qu’à chaque fois que je fais une blague ironique, elle me demande avec gentillesse et intérêt (et
le pire, c’est que je crois bien qu’elle est sincère) si je ce que je dis est censé être drôle. De plus, avec un sourire plein d’empathie. Elle m’avoue un jour qu’elle sourit afin de m’encourager à poursuivre mes efforts pour être marrant. À défaut de rire, elle prend donc le temps de s’informer au sujet de mon humour, et surtout, de m’inciter à persévérer dans mes tentatives, ce qui constitue une preuve manifeste d’ouverture d’esprit. À force de demander, elle finira bien par savoir à quel moment elle peut potentiellement rire.
Nous nous ressemblons tout de même sur un point : nous parlons tout seuls tous les deux. Au moins, nous sommes sûrs d’être écoutés. Je n’ose pas lui demander si elle se répond lorsqu’elle se parle à elle-même. Moi, je ne me réponds pas forcément, ce que je ne trouve pas très poli. Mais après tout, personne n’est parfait (et c’est sans doute mieux ainsi).
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