Portrait du jour : Stéphane Borrel


Le DINARD PODCAST FESTIVAL nous dévoile le portrait d’un invité ou un participant, acteur.ice du podcast créatif. Aujourd’hui : Stéphane Borrel.


LE RIRE COMME MATIÈRE SONORE

Du son, de la vibration, de la détente, de la communication et du communicatif, de la joie – voici quelques-unes des sensations impliquées par les éclats de rire. C’est également la matière première choisie par le compositeur Stéphane Borrel: il compose une anthologie électroacoustique du rire depuis de nombreuses années et revient pour nous sur la genèse du projet.

Trois-cents personnes ont été sollicitées afin de créer cette « galerie de portraits des rires »: comment cette idée est-elle née ?

Je crois pouvoir décrire la scène qui lance l’impulsion. C’est au début de l’année 2003, j’étais alors étudiant au Conservatoire à Lyon, je suis en train de déjeuner au réfectoire quand un rire passe le brouhaha des conversations : trois notes arpégées qui sonnent dans toute la salle. Je ne vois pas la rieuse mais la reconnais (une chanteuse), et je pense soudain : « ce rire, il faut que je l’enregistre ! » Mais comment m’y prendre ? Tout part de là. J’organise une séance d’enregistrement quelques semaines plus tard. J’entreprends de noter ce qu’il se passe : c’est la première entrée de mon journal (vendredi 18 avril 2003). Sept ans plus tard, grâce au concours Phonurgia nova, je peux profiter d’une résidence d’artiste au Groupe Musiques Vivantes de Lyon. Enregistrer des rires – voilà la gageure. Je sollicite aussi bien des personnes que je connais que des inconnus. Au début de chaque séance, j’explique en deux mots le projet, le dispositif mis en œuvre, je donne quelques consignes, puis m’occupe de l’aspect proprement technique : les gens doivent se débrouiller entre eux pour se faire rire. La plupart du temps, j’enregistre une personne à la fois, placée dans la cabine de prise de son. En face d’elle, quelqu’un (parfois plusieurs personnes) endosse le rôle de l’amuseur. Tous les coups sont permis : devinettes, mimes, grimaces, chatouilles, sketches, strip-tease, jeux divers, etc. Les enfants jouent à « Je te tiens par la barbichette », les ados rotent. Beaucoup d’adultes piquent des fou-rires sans savoir pourquoi. Je ne vois pas ce qui se passe (il n’y a pas l’habituelle fenêtre entre cabine de prise de son et studio) – ce qui permet aux uns et aux autres de se lâcher sans vergogne. Il faut que les “amuseurs” fassent le moins de bruit possible, pour que je n’enregistre que le rire de la personne concernée. Je dois souvent intervenir auprès d’eux pour réclamer un peu de calme…

Tous les rires doivent être sincères. Je dis : « Surtout, ne vous forcez pas, si vous n’avez pas envie de rire, ne riez pas. ». Bien sûr, beaucoup sont inquiets d’être conviés à se faire enregistrer, et dubitatifs quant à la réussite de leur prestation (« Tu sais, on ne rit pas sur commande LE RIRE COMME MATIÈRE SONORE »). Une fois sur place, la loufoquerie de la situation leur saute au visage, la tension se relâche d’un coup, c’est gagné. À l’inverse, les enthousiastes qui ont beaucoup ri sur le chemin reconnaissent, une fois sur place, moins rire que prévu. Ceux qui ont connu une journée de travail harassante sont formidables ! Je donne parfois à entendre des rires déjà enregistrés, ce qui fait hurler de rire certains (des Coréens et des Japonais, notamment, curieusement), et en refroidit d’autres. J’offre des boissons alcoolisées à l’étage quand je sens que ça peut détendre tout le monde. Certains d’eux-mêmes ont déjà bu ou fumé avant d’arriver. J’ai des rires de personnes de tout âge : des nourrissons, des enfants, des adolescents, de jeunes adultes, des personnes âgées. Beaucoup de femmes : les femmes rient plus volontiers. Les hommes plus volontiers les font rire. Quelques-uns n’ont pas ri, et sont repartis dépités, presque honteux. Une jeune femme s’est enfuie sans crier gare, en plein milieu d’une séance. La plupart du temps, à la surprise de tout le monde, ça fonctionne. Certains gardent un souvenir impérissable. Au fur et à mesure, je consigne ce qui se passe dans mon journal.

Un jour, Marc Jacquin (directeur de Phonurgia Nova) me demande si j’ai pris des photos. Je n’y avais pas pensé, et j’ai alors regretté de ne pas l’avoir fait. Cela aurait complété idéalement cette archive sonore.

On apprend ainsi dans le journal que l’objectif était de “transposer les rires bruts, sans nettoyer”, mais ensuite, puisque chaque pièce est intitulée (exemple: « Les champions »), j’imagine que vous devez sélectionner, couper afin de former une cohérence avec le titre : comment procédez-vous?

Vous faites allusion à l’entrée du 27/01/2017? Sans doute n’est-elle pas claire, alors. D’abord, et c’est un préalable, il y a toujours nettoyage (le grave parasite, les minuscules bruits de bouche qui sonnent comme des clics, etc.). Ensuite, je m’avisais ce jour-là du paradoxe auquel j’étais arrivé. D’un côté, je tenais à ne pas métamorphoser le timbre de ces rires. Il y a des outils pour faire tout ce qu’on veut, jusqu’à transformer, pourquoi pas, un aboiement en son de trompette ou en pluie… Ne pas porter atteinte au timbre, donc, fors les égalisations de rigueur, « afin qu’à chaque instant l’auditeur puisse se convaincre que ce qu’il entend a été, en l’état, émis par d’humains gosiers ». Mais j’utilise constamment le montage, si ce n’est le micro-montage. J’ai par exemple pioché dans les enregistrements de huit personnes différentes pour composer la ligne « mélodique » arpégée des Orientales; à peu près autant pour composer Les Inspirés ; et jusqu’à vingt-huit personnes différentes pour rassembler tous les « ha, hé, hi, ho, hou » de ces Champions que vous citez. Les deux Anciens qui conversent à demi-mot en réalité ne se sont jamais rencontrés… L’utilisation presque « brute » d’une prise de son est toutefois une solution déjà employée, mais à ce jour, je ne l’ai fait qu’une fois (je le referai). Le titre permet d’introduire des niveaux de lecture, d’inviter l’auditeur à chercher des interprétations. Les Champions, par exemple. Je souhaitais réactiver un peu les sens anciens. C’est pourquoi l’introduction peut évoquer un combat singulier. Comme il s’agit d’un homme et d’une femme, je pensais aussi – pourquoi pas – à Tancrède et Clorinde (pour les amateurs de Monteverdi). Mais on imagine ce qu’on veut !

Il y avait aussi le sens figuré, que j’aime beaucoup: « Celui qui se consacre à la défense d’une cause ou d’une personne, se fait l’incarnation des aspirations, des idées ». Et puis le sens sportif que l’on connaît. Et l’on dirait en effet que les voix se livrent une petite joute (comme les jeux vocaux des Inuits), avec, si l’on veut, le tic-tac d’un chronomètre (le générique de Stade 2, émission que mon père regardait quand j’étais enfant, et que l’on devait, je l’ai appris récemment, à Bernard Parmegiani) ou celui d’un jeu radiophonique ou télévisuel (j’avais pensé au Jeu des mille francs, et aussi aux Chiffres et aux lettres). Le principal étant tout de même de composer avec le son des rires, en l’occurrence, leurs voyelles (d’où le jeu Des chiffres et des lettres) : “ha” et “hi” pour les trois premières parties, “hé” et “ho” pour la quatrième, “hou” pour la coda. 

Auriez-vous une recommandation d’écoute à partager? Pourquoi ce choix?

qué, quand je la découvrais au tournant de ce siècle. Je ne peux pas en recommander l’écoute, cependant, car elle n’est pas éditée à ma connaissance. Par le plus grand des hasards, j’en ai une copie de bonne qualité. Il s’agit d’une œuvre de Luciano Berio, A-Ronne, sur un poème d’Edoardo Sanguineti. De cette pièce radiophonique, Berio tirait aussitôt (ce sont les années 1974-1975) une partition pour les huit chanteurs des Swingle Singers…
Retrouvez l’Anthologie du rire en accès libre sur YouTube.

Propos recueillis le 2 août 2021 par Hélène Courte
portrait à retrouver ICI

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